D’où nous vient la tradition des jubilés ?

De tous temps, les hommes ont réglé leur vie sur les astres ou les divinités. Les années étaient scandées par les fêtes des semailles ou celles des récoltes. Elles dessinaient des tranches de vie toutes bordées par la mort. À l’échelle du monde, on attendait la fin des temps où le mal serait englouti contre une éternité de bonheur. Ces temps attendus étaient des temps de joie dont on célébrait, au fil des ans, les Jubilés.

 

Ces temps marquent aussi notre Bible. Au temps où les tribus du Nord se disputaient la terre promise où ils étaient entrés, Osée (-730) fut un des premiers prophètes à utiliser l’écriture alphabétique de nos bibles pour nous parler de Dieu. Il luttait contre les cultes installés sur des collines de Canaan, où l’on brûlait des enfants pour réveiller à leur parfum le dieu des semailles et éviter la famine. Osée méprisait ces célébrations de pleines lunes qu’on appelait « shabbat ». « Je hais, disait Dieu, leurs « shabats » et leur Néoménies » (Os 2,13).

Les gens de ce temps-là vivaient au rythme du soleil. La lune scandait de ses quartiers la marche des mois lunaires. Les pasteurs dans le désert, indexaient leur vie sur les saisons qui dictaient la transhumance des troupeaux.

D’autres rythmes marquaient la vie de la tribu. Le pasteur vieillissant, à qui reviendrait le troupeau : « Tu honoreras ton père et ta mère afin de vivre longuement ». L’enfant qui assurait la charge de ses parents recevait le troupeau en héritage et les laissés pour compte n’avaient plus qu’à vendre leurs services au frère généreux ou à prendre le bâton de la vie errante en attendant l’année jubilaire, qui, tous les 49 ans (7x7) redistribueraient les cartes. Et c’est ainsi, que de jubilé en jubilé, la société vivait.

 

Avec l’Exil à Babylone (-538) on découvrit le monothéisme. Depuis Josias, les dieux des tribus s’étaient unifiés en YHWH dont on avait pu constater qu’il était bien l’arbitre des alliances. Mais, après la défaite de Megiddo (-609) où Josias, avait vu la mort (2R 23, 29), tout était remis en question. Une partie du peuple était en exil à Babylone contrains de repenser son Credo face au Marduk. Loin de leur terre, sans temple, avec leur roi captif, ils purent compter ses prophètes pour garder la foi. Les célébrations des pleines lunes firent place à un shabbat hebdomadaire. Et, chaque année, ils décrétèrent un jour de jeûne et de prière qui deviendrait le « jour des expiations ». Et voilà qu’on retrouvait en Exil, une nouvelle manière d’être fidèles à « l’année sainte » qui avait fait vivre nos pères dans la foi.

Bien plus, on s’acheminait lentement vers la 49° année de l’Exil. Pouvait-on attendre de YHWH une remise à plat de toute l’histoire ? Les Perses, confiants dans la puissance spirituelle de Mazda, ne déportaient plus les populations vaincues pour en dissoudra la religion. Cyrus, le chef de guerre des Perses arrivait à Babylone. Il se faisait ouvrir les portes de Babylone en se disant « serviteur plénipotentiaire » de Marduk comme il l’était de Mazda. Cyrus allait-il ramener les exilés au pays ?

Le prophète Isaïe allait aider les exilés à franchir une étape décisive dans sa foi en l’Alliance : le monothéisme. L’Amour n’était-il pas aussi fort que la Sagesse de Mazda pour diriger le monde. Pour Isaïe le Dieu Lumière devait s’effacer devant la force d’Amour. YHWH Dieu d’Alliance, Père aimant comme une mère, Celui « qui dit et cela est » (Ez 12,28), était derrière Cyrus quand il décidait de ramener chez eux les exilés de Jérusalem.

On revint au pays et l’on écrivit Gn1 un nouveau texte de création par YHWH Dieu d’Amour. Mazda était créé le premier jour (Gn 1,3) et les « luminaires », le 4° jour ne servaient plus qu’à célébrer les fêtes de YHWH. Le grand Jubilé, une remise à plat de tout l’univers, était arrivé après 50 ans d’Exil. Dieu n’était plus seulement arbitre des alliances comme au temps de Josias, mais créateur par Amour de tous les dieux et même de Mazda que YHWH créait au premier Jour du nouveau calendrier des fêtes de son Amour.

 

Il restait à penser le temps long. Combien restaient à vivre de ce temps long avant le grand Jubilé où YHWH mettait fin pour du bon au mal dans le monde. Car le mal restait bien là. À peine avait-on écrit Gn 1 comme le premier monothéisme de l’Amour seul créateur du ciel et de la terre que l’on était à nouveau soumis aux samaritains. Devant la menace, il fallait recadrer le pur et l’impur, ce qui était de YHWH et ce qui ne l’était pas. On se mit à penser que le beau Jubilé de Gn 1 demanderait de nombreux jubilés avant que l’on ne voie la Victoire de l’Amour sur le divorce. Il y avait la Torah qui donnait la connaissance du bien et du mal et guidait la pratique. Mais le livre d’Hénoch nous disait que les mauvais anges (Hen VI) avaient refusé l’offre du Dieu d’Amour et inculqué leur refus aux humains. Le « refus d’Amour » amènerait Dieu à indexer les temps, les années et les jubilés sur l’adhésion ou le refus de l’homme. Le Mystère de Dieu échappait à la « Torah pratique » de nos Pères et avait son lieu dans le ciel.

 

Et puis on vit arriver Alexandre (-330). Avec lui, les grecs prirent la place des Perses. Il était disciple d’Aristote. Les grecs voyaient les dieux tellement semblables aux hommes dans les histoires qu’on leur prêtait qu’ils pensaient les avoir inventés. C’est alors que les grecs demandèrent de la traduire en grec. Sûrs de leur Torah d’Amour à l’origine de toute la création, ils transplantèrent le Sinaï avant la création du monde, là où les philosophes grecs pensaient les idées préexistantes au monde. Les samaritains quant à eux avaient troqué Mazda pour Zeus. Il était loin le temps des jubilés.

 

Puis bientôt vint le temps des martyrs (-167). Il y eut deux sacerdoces. L’un soumis aux grecs, l’autre partagé entre la résistance armée (1 M) et le départ au désert. À la suite de leurs martyrs (2 M) ils se disaient que si Dieu était un Dieu d’Amour créateur du ciel et de la terre, créateur des anges, il ne pouvait pas refuser de prendre en lui ceux qui acceptaient par Amour de renoncer à leur vie. La foi en la Résurrection était née.

 

En elle on se mit à Rêver. Au terme de quelques jubilés pourquoi Dieu ne ferait-il pas le chemin inverse à celui des martyrs. Si Dieu pouvait prendre en son « Fils de l’homme » ceux qui lui offraient leur vie, pourquoi ce Fils de l’homme en Lui ne pourrait-il pas en venant sur la terre transfigurer assez la demeure qu’il empruntait aux hommes pour y faire sa demeure sans rien perdre de sa Gloire. Ainsi pensait à la suite du « livre d’Hénoch », le « livre des Jubilés ». Tous deux tentaient de préciser les années et le nombre des « jubilés » de 49 années qui nous séparaient encore de la fin des temps. Le livre des Jubilés,  3 siècles après le livre d’Hénoch, une centaine d’années avant Jésus, est retrouvé lui aussi à Qumran. Ces deux livres que nous pourrions voir arriver dans nos bibles, sont parmi les écrits spirituels les plus importants des communautés du désert.

 

La liste des jubilés est cachée dans les « tablettes célestes » (Jub III). L’apocalypse du bestiaire (Hen LXXXV) révèle l’histoire cachée du monde : Adam (le taureau blanc sans péché), et la chute des anges (Gn 6), origine du mal dans le monde, sont racontés dans le ciel. Tout est crypté derrière les symboles animaliers comme on fait en temps de clandestinité et de persécution. L’apocalypse des semaines (Hen XCIII) donne le calendrier céleste des grands moments du salut, jusqu’à la naissance d’une sainte communauté appelée les « agneaux blancs ».

 

Jésus a-t-il connu cette tradition ? Bien évidemment Oui. Le livre se trouve in extenso dans le canon chrétien de l’Eglise d’Ethiopie et Jean-baptiste désigne d’emblée Jésus comme l’« agneau de Dieu ».  Jésus se sait apporter le grand Jubilé que Dieu vient annoncer aux hommes. Un Jubilé où les choses du ciel ne sont plus cachées, obligeant à fouiller les textes pour y trouver les « choses cachées », lavage de coupes et autres minuties, qui règleraient la montée au ciel quand, avec Jésus, c’est le ciel qui descend vers l’homme. Jubilé où « heureux sont les pauvres », ceux qui attendaient de la caisse royale une amélioration de leur sort ! Heureux sont-ils, c’est le ciel descend ! « Le Royaume est pour eux » : Ils émargent à la caisse de Dieu. Et Jésus s’insurge contre ceux qui pour éviter de payer leur dû au « Jubilé » qu’il apporte déclarent «sacré » l’argent qu’ils devraient rendre pour remettre les compteurs à zéro.

Jésus vient tout remettre dans le projet de Gn 1. Adam lors de sa création était fait « à l’image de Dieu » et comme son « sceau d’identité » (le cachet en « relief » dans le « creux » de la cire) (Gn 1,27) et non pas, comme souvent dans nos bibles : « homme et femme » ! Ce n’est qu’en Gn 2,21s, que « Ishshah/femme » est donnée à « Ish/ homme ». Il n’est encore question ni d’homme ni de femme en Gn 1, 27, mais de « zeker/relief » et de « neqevah/creux ». Quand Jésus à la question du droit au divorce répond en Mt 19, 8 qu’ « au commencement » il n’en était pas ainsi, il vient rétablir l’humain dans le « Jubilé » de Gn 1,28 qui donnait le départ de tous les jubilés suivants dont il était la clé (Ga 3,28). Et, prêt à aller jusqu’au don de sa vie il prépare les apôtres à le remplacer. « Qui vous accueille m’accueille et accueille Celui qui m’a envoyé » (Mt 10, 40 ; Lc 9, 48 ; Lc 10, 16 ; Mc 9,37 ; Jn 13, 20). Quand je n’y serai plus pour avoir donné ma vie en nourriture vous serez le « Jubilé » pour tous ceux qui recevront mon Évangile.

 

Depuis sa venue, les chrétiens célèbrent les « jubilés » en prolongement ce Celui que Jésus a ouvert par sa naissance et par sa mort. Jubilés de baptême, jubilés d’ordination, jubilés de mariage, grands jubilés de l’Eglise tous les cinquante ans, comme autant d’irruptions de la vie divine que Jésus est venu apporter aux hommes.

 

Père Jacques Bernard

Article publié par Service communication • Publié le Mardi 19 avril 2022 - 11h05 • 694 visites

keyboard_arrow_up